Monday, February 27, 2006

ETUDE

LA SECURITE JURIDIQUE DE LA LOI DU PAYS
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Par Jean PERES
Membre permanent du haut conseil de la Polynésie française
21/02/06
BJPF n°8 - Mars 2006

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AVERTISSEMENT

Cette étude a été réalisée juste avant que l’on ait connaissance de la décision de la section du contentieux du Conseil d’Etat (n° 286584 du 27 janvier 2006). Cette décision est la première prise dans le cadre du contrôle juridictionnel spécifique des « lois du pays », elle apporte des précisions intéressantes et un éclairage nouveau sur cette question de la sécurité juridique de la loi du pays.

La rédaction de l’étude a donc été reprise sur ces bases.


La loi statutaire du 27 février 2004 précise le degré de sécurité juridique qui s’attache aux dispositions d’une « loi du pays » lorsque celle-ci a été promulguée.

Elle le fait même en deux occasions, la première dans le dernier alinéa de l’article 176 :

« Les « lois du pays » ne peuvent plus être contestées par voie d’action devant aucune autre juridiction » ;

la deuxième dans le premier alinéa de l’article 180 :

« Les « lois du pays » ne sont susceptibles d’aucun recours par voie d’action après leur promulgation ».

En d’autres termes, la sécurité juridique d’une « loi du pays » régulièrement promulguée est donc assurée dès que le Conseil d’Etat a constaté la conformité des dispositions de cette « loi » avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux et les principes généraux du droit. Elle est également assurée, dans l’hypothèse où la« loi du pays » n’a pas été déférée, après l’expiration des délais de recours devant le Conseil d’Etat.

S’il n’est plus possible d’agir contre elle par voie d’action, la « loi du pays » n’est cependant pas à l’abri du recours par voie d’exception (II).

Par ailleurs, cette sécurité ne s’exerce que pour autant que la disposition qui pourrait être contestée conserve le bénéfice de son appartenance à la matière des « lois du pays » telle qu’elle est définie à l’article 140 de la loi statutaire.

En effet, le Conseil d’Etat peut déclarer que certaines dispositions d’une « loi du pays » ne relèvent pas de ce domaine, on parle alors de déclassement (I), la « loi » ne devant pas en principe empiéter sur le domaine du « règlement ».
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I . LE DECLASSEMENT

Il convient de remarquer au préalable que l’expression déclassement ne figure dans aucun texte, ni dans la Constitution, ni dans la loi statutaire.

C’est la doctrine qui en a consacré l’usage mais certains auteurs lui préfèrent le mot délégalisation, lequel ne peut toutefois pas s’appliquer aux « lois du pays » qui n’ont pas de valeur législative.

Avant d’examiner le régime particulier du déclassement des « lois du pays » (B), il paraît utile de rappeler celui applicable aux lois de la République (A). Pour faire une transition avec la deuxième partie de cette étude, il paraît intéressant de décrire le régime original instauré en Nouvelle-Calédonie (C) qui procède à la fois de la procédure du déclassement et de celle de l’exception d’illégalité.


A. LE DECLASSEMENT DES LOIS

A côté des règles générales posée par la Constitution (a), il faut signaler le régime particulier des lois applicables en Polynésie française (b).

a) Règles constitutionnelles

1. Afin de protéger son champ de compétences, le Gouvernement peut, au cours de la discussion parlementaire, opposer l’irrecevabilité à toute proposition ou amendement qui ne ressortirait pas au domaine de la loi (art. 41-c).

2. Après la promulgation de la loi, les dispositions de forme législative qui seraient intervenues dans le domaine réglementaire peuvent être modifiées par décrets pris après avis du Conseil d’Etat.

En ce qui concerne les dispositions intervenues après l’entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958, la modification par décret nécessite une décision préalable du Conseil Constitutionnel, saisi de la question par le Premier Ministre, déclarant que ces dispositions ont un caractère réglementaire (art. 37-c).

3. Une décision récente du Conseil Constitutionnel (cf décision n° 2005-512 du21 avril 2005) consacre une procédure de délégalisation préventive en soulevant d’office le caractère réglementaire de certains articles de la loi FILLON sur l’avenir de l’école, hors de toute saisine du Premier Ministre.

Il est vrai que les parlementaires, auteurs de la saisine, avaient fait observer que la loi déférée comportait de nombreuses dispositions sans aucune portée législative et c’est sur la base de cette saisine que le Conseil Constitutionnel, en application de l’article 61 de la Constitution, a déclaré que les articles 19, 22, 33 et 34 de la loi déférée ont le caractère réglementaire.


b) Règles statutaires

La loi portant statut d’autonomie de la Polynésie française institue une procédure originale de déclassement des lois de la République qui empiètent sur les matières relevant de la compétence des autorités du pays en distinguant celles qui sont intervenues avant l’entrée en vigueur de cette loi (1) et celles qui interviendraient dans l’avenir (2).

1. Avant l’entrée en vigueur de la loi statutaire, l’article 11 de la loi statutaire précise que les lois intervenues dans des matières qui relèvent désormais de la compétence des autorités de la Polynésie française (par exemple le droit civil, le droit commercial et le droit du travail) peuvent être modifiées ou abrogées par ces autorités, en tant qu’elles s’appliquaient à la Polynésie française.

Ces lois sont donc automatiquement déclassées du domaine législatif au domaine réglementaire. Elles restent en vigueur tant qu’elles n’ont pas été modifiées ou abrogées mais avec valeur de règlements territoriaux.

2. Après l’entrée en vigueur du statut, les dispositions d’une loi qui interviendraient dans une matière ressortissant à la compétence de la Polynésie française peuvent être déclassées par une décision du Conseil Constitutionnel (cf article 12 de la loi statutaire pris sur le fondement du 9ème alinéa de l’article 74 de la Constitution).

Le Conseil Constitutionnel est saisi par :

- le Président de la Polynésie française sur habilitation du conseil des ministres ;
- le Président de l’assemblée sur délibération de cette assemblée ;
- le Premier Ministre ;
- le Président de l’Assemblée Nationale ;
- le Président du Sénat.

Le Conseil statue dans un délai de trois mois.

Lorsque le Conseil a constaté un empiètement, les dispositions critiquées peuvent être modifiées ou abrogées par l’Assemblée de la Polynésie française (« loi du pays » ou délibération selon le cas).

B. LE DECLASSEMENT DES LOIS DU PAYS

Manifestement inspiré par le deuxième alinéa de l’article 37 de la Constitution (cf A-a-2 ci-dessus), le deuxième alinéa de l’article 180 de la loi statutaire précise la procédure permettant de déclasser une disposition d’une « loi du pays » qui se serait aventurée dans le domaine réglementaire.

Après avoir exposé la procédure applicable (a), nous verrons quels peuvent être les effets de ce déclassement (b).


a) Procédure

Saisi par le Président de la Polynésie française ou le Président de l’assemblée ou le ministre chargé de l’Outre-Mer, le Conseil d’Etat peut déclarer que certaines dispositions d’une « loi du pays » ne relèvent pas du domaine défini à l’article 140 de la loi statutaire.

Après avoir recueilli, dans un délai de quinze jours, les observations des autres autorités titulaires du pouvoir de saisine, le Conseil d’Etat statue dans un délai de trois mois.

La question a été posée, notamment par le rapporteur du projet de loi au Sénat, de savoir si l’Etat, titulaire du droit de saisine par l’intermédiaire du ministre chargé de l’Outre-Mer, pourrait utiliser cette procédure pour récupérer une compétence indûment exercée par la Polynésie française.

Cette position, qui pouvait être discutée, a été tranchée par le commissaire du gouvernement (cf conclusions de M. Jacques Henri STAHL dans la décision citée en tête), en s’appuyant sur le pouvoir de saisine du ministre chargé de l’outre-mer, qui a démontré qu’un « empiètement d’une loi du pays sur le domaine de compétence de l’Etat pourrait être corrigé, pour l’avenir, par une intervention adéquate des autorités de l’Etat sur le fondement de l’article 180 ».

Par ailleurs, l’Etat peut déférer au contrôle juridictionnel spécifique du Conseil d’Etat toute disposition d’une « loi du pays » qui s’écarterait de la répartition des compétences fixée par l’article 14 de la loi statutaire. Pour le commissaire du gouvernement, « le respect du partage des compétences entre l’Etat et la Polynésie française paraît constituer une question de légalité importante, qu’il importe d’examiner d’office.


b) Effets

Après la déclaration du Conseil d’Etat, les dispositions d’une « loi du pays » qui ne relèvent pas du domaine défini à l’article 140 de la loi statutaire peuvent être modifiées par les autorités normalement compétentes (1). Par ailleurs, la question se pose de savoir quel est le caractère contraignant de cette déclaration (2) et de quels moyens dispose une personne, ayant intérêt à agir, pour obliger l’une des autorités titulaires du droit de saisine à l’exercer effectivement (3).

1. Si l’on écarte le cas de l’Etat évoqué ci-dessus (dans ce cas, il s’agit d’ailleurs de pouvoirs et non d’autorités), les autorités compétentes sont :

- l’Assemblée de la Polynésie française si la disposition déclassée relève d’une délibération ;
- le conseil des ministres si elle relève d’un arrêté pris en conseil ;
- très exceptionnellement le Président de la Polynésie française ou le ministre ayant reçu délégation de pouvoir, dans le cadre du pouvoir réglementaire qu’il détient pour l’application des actes du conseil (cf 4ème alinéa de l’article 64 de la loi statutaire).



2. Le Conseil d’Etat ayant déclaré le déclassement, l’autorité qui l’a saisi est-elle tenue de mettre la norme en conformité avec cette déclaration ?

On peut admettre que le représentant de l’Etat mette en demeure l’autorité compétente de se conformer à la décision juridictionnelle, la question de la sanction en cas de refus de cette autorité sera examinée ci-après (cf 3).

Mais avant d’examiner ce point du droit au recours, posons nous la question de l’intérêt du déclassement.

Pour les autorités compétentes, le déclassement procure une certaine souplesse afin de modifier par une norme de rang inférieur, en évitant la lourdeur de la procédure d’examen de la « loi du pays », une disposition qui, par commodité, aurait été introduite dans une « loi du pays ». Il convient de préciser à cet égard que le Conseil Constitutionnel, saisi d’une demande de déclassement d’une disposition d’une loi de la République, exige qu’à cette demande soit joint le texte que le Gouvernement se propose de prendre après le déclassement.

Pour les tiers ayant un intérêt à agir, le déclassement permet de faire sauter le bouclier de la sécurité juridique qui s’attache aux « lois du pays ». Il est en effet plus facile, comme nous le verrons dans la deuxième partie de cette étude, de faire jouer l’exception d’illégalité à l’encontre d’un règlement autre qu’une « loi du pays ».

3. Les tiers peuvent-ils contraindre les autorités compétentes de la Polynésie française à modifier la norme après la décision du Conseil d’Etat et peuvent-ils contraindre ces autorités à exercer un recours en déclassement devant le Conseil d’Etat ?

Dans le premier cas, l’article 3 du décret n° 2005-1611 du 20 décembre 1995 pris pour l’application de l’article 180 de la loi statutaire précise que la décision du Conseil d’Etat peut être publiée au Journal Officiel de la République française et, qu’en tout état de cause, le haut-commissaire en assure la publication au Journal Officiel de la Polynésie française. Cette publication doit permettre aux tiers intéressés de demander la mise en œuvre de ce déclassement et, en cas de refus de l’autorité compétente, de déférer ce refus devant la juridiction administrative.

Le deuxième cas vise la possibilité donnée aux tiers de demander à l’une des autorités titulaires du pouvoir de saisine de saisir le Conseil d’Etat d’une demande de déclassement et, en cas de refus, de déférer cette décision à la censure de la juridiction administrative.

Cette possibilité est contestée par une partie de la doctrine, s’appuyant sur l’arrêt de section du Conseil d’Etat du 3 décembre 1999 (Association ornithologique et mammalogique de Saône et Loire) rejetant les requêtes de cette association sur le fond au motif que le Premier Ministre n’avait pas épuisé sa compétence en la matière.

J’observe, pour ma part, que le Conseil d’Etat a jugé, sur la recevabilité, que « la décision par laquelle le Premier ministre refuse d’engager la procédure prévue au second alinéa de l’article 37 de la Constitution pour procéder par décret à la modification d’un texte de forme législative se rattache à l’exercice du pouvoir réglementaire et revêt ainsi le caractère d’une décision administrative susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ».


C. LA NOUVELLE- CALEDONIE

Il faut en premier lieu faire remarquer que la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ne prévoit aucune procédure spécifique de déclassement, contrairement à ce qui se pratique pour les lois de la République (article 37 de la Constitution) ou pour les « lois du pays » (article 180 de la loi statutaire).

Le statut de la Nouvelle-Calédonie prévoit une procédure spéciale qui se rattache davantage à la procédure d’exception d’illégalité mais qui ne porterait que sur le caractère normatif des lois du pays (a). Les effets de ce « déclassement » sont également très spécifiques à la Nouvelle-Calédonie (b).

a) Procédure

Le deuxième alinéa de l’article 107 du statut de la Nouvelle-Calédonie dispose :

« Les dispositions d’une loi du pays intervenues en dehors du domaine défini à l’article 99 (équivalent de notre article 140) ont un caractère réglementaire. Lorsqu’au cours d’une procédure devant une juridiction de l’ordre administratif ou de l’ordre judiciaire, la nature juridique d’une loi du pays fait l’objet d’une contestation sérieuse, la juridiction saisit, par un jugement qui n’est susceptible d’aucun recours, le Conseil d’Etat (et non le Conseil Constitutionnel) qui statue dans les trois mois. Il est sursis à toute décision sur le fond jusqu’à ce que le Conseil d’Etat se soit prononcé sur la nature de la disposition en cause ».

C’est donc à l’occasion d’un procès que la nature, législative ou réglementaire, d’une disposition peut être soulevée. Si le moyen soulevé est sérieux, la juridiction du fond renvoie par une question préjudicielle, la solution au Conseil d’Etat.

b) Effets

La loi statutaire de la Nouvelle-Calédonie est muette sur les effets de la décision du Conseil d’Etat. La disposition contestée n’est pas modifiée en la forme mais perd la « force de loi » qui est reconnue par le premier alinéa de l’article 107 de cette loi.

Les commentaires du Secrétaire général du Conseil Constitutionnel sur la décisionn° 99-409 DC du 15 mars 1999 publiés dans l’Actualité juridique du 20 avril 1999 indiquent que si la disposition est déclassée, sa légalité pourra être contestée, par la voie de l’exception devant la juridiction administrative compétente.

M. François GARDE dans son ouvrage sur les institutions de la Nouvelle-Calédonie estime même que la disposition déclassée pourra être critiquée par voie d’action mais cette position est contestée par la doctrine.



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II . L’EXCEPTION D’ILLEGALITE

Toute personne physique ou morale qui n’aurait pas fait jouer son droit au recours devant le Conseil d’Etat, dans le cadre du contrôle juridictionnel spécifique, contre une « loi du pays » avant sa promulgation ne se trouve pas pour autant dépourvue de moyen pour contester certaines dispositions.

Elle dispose pour cela d’une procédure particulière dite d’exception d’illégalité (B). Auparavant, il paraît utile de rappeler les principes qui régissent cette procédure (A).


A. GENERALITES

L’exception d’illégalité se définit comme la contestation incidente de la régularité d’un acte, un moyen destiné à soutenir des conclusions tendant à l’annulation d’un autre acte.

Après avoir examiné les différentes règles de procédure (a), on s’attachera à en définir les effets (b).

a) Procédures

L’exception d’illégalité ne peut normalement être invoquée que contre les règlements (2). Elle n’est pas opposable aux textes de forme législative sauf déclassement préalable (1).

1/ Lois

Les juridictions administratives, s’abritant derrière l’écran législatif, refusent d’examiner une requête en exception d’illégalité contre un texte de forme législative même si ce texte est manifestement contraire à la Constitution.

La seule exception concerne une norme législative contraire à une norme internationale, les tribunaux acceptant d’examiner la conformité d’une loi à une convention internationale en application du principe posé par l’article 55 de la Constitution en vertu duquel les traités régulièrement ratifiés ont une autorité supérieure à celle des lois.

Cette primauté a été consacrée par un arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat du20 octobre 1989 (NICOLO).

2/ Règlements

2.1. Sauf exceptions (droit de l’urbanisme notamment), tout citoyen peut exciper de l’illégalité d’un règlement à toute époque ;

2.2. L’exception d’illégalité ne peut être invoquée à l’encontre des actes non réglementaires ;

2.3. C’est normalement le juge du principal qui est aussi juge de l’exception d’illégalité. C’est la règle pour les juridictions pénales en application de l’article 111.5 du Code pénal. En ce qui concerne les autres tribunaux judiciaires, le juge du principal ne pose la question préjudicielle qu’en cas de difficulté sérieuse que le juge apprécie souverainement.

2.4. Le moyen ne peut être accueilli que dans la mesure où :

- la décision dont l’annulation est demandée constitue une mesure d’application de celle dont l’illégalité est invoquée par voie d’exception et ;

- sa légalité est subordonnée à celle du premier texte.


b) Effets

Une disposition déclarée illégale ne disparaît pas automatiquement de l’ordonnancement juridique, mais elle ne peut plus être invoquée par l’administration (1), et son abrogation expresse peut être obtenue (2).

1/ Autorité de la chose jugée

Quand le juge déclare l’illégalité d’une décision, l’annulation emporte bien évidemment des effets rétroactifs sur les actes pris en application de cette décision.

Un règlement déclaré illégal doit être tenu pour tel dans les diverses instances ultérieures où il se retrouverait en cause. Dans ces conditions, l’administration ne peut qu’être incitée à l’abroger ou à cesser d’en faire application.

Il faut cependant signaler une atténuation de cette rigueur depuis l’arrêt AC (CE. Assemblée du 11 mai 2004) qui donne un délai à l’administration pour faire cesser l’illégalité dont le règlement est entâché.

2/ Obligation d’abroger

Depuis l’arrêt ALITALIA (Assemblée du Conseil d’Etat du 3 février 1989) l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été déclaré illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. Cet arrêt a élevé l’obligation d’abrogation, en principe général du droit.

La demande d’abrogation doit émaner d’une personne justifiant d’un intérêt à obtenir l’annulation du règlement.


B. APPLICATION EN POLYNESIE FRANCAISE

La loi statutaire est évidemment muette sur la procédure applicable aux exceptions invoquées à l’encontre de délibérations ou d’actes réglementaires du conseil des ministres et du Président de la Polynésie française . Cette procédure et les effets de l’annulation sont identiques à ceux qui ont été évoqués au A. ci-dessus.

La « loi du pays » n’étant pas susceptible d’être contestée par voie d’action après sa promulgation, il était donc normal qu’elle puisse, compte tenu de sa nature réglementaire, être contestée par la voie de l’exception d’illégalité.

La loi statutaire a prévu une procédure spéciale (a) inédite en droit français. Par contre les effets de l’annulation (b) ne se distinguent pas de ceux attachés à l’annulation des autres règlements.

a) Procédure

Les travaux préparatoires et les débats devant les deux chambres du Parlement n’apportent aucun élément justifiant cette procédure spéciale fixée par l’article 179 de la loi statutaire. On peut penser qu’elle tient au caractère spécifique de la « loi du pays » qui, comme le dit le Président François LUCHAIRE, est moins qu’une loi de la République mais plus qu’un décret (cf le statut constitutionnel de la Polynésie française. Editions ECONOMICA).

Certaines de ses règles sont identiques à celles applicables en Nouvelle-Calédonie (1)(cf 1ère partie), d’autre sont particulières à la Polynésie française (2).

1/ Règles communes

1.1. L’exception d’illégalité ne peut être soulevée qu’à l’occasion d’un litige (le texte de Nouvelle-Calédonie utilise le terme de procédure) devant une juridiction qu’elle soit de l’ordre administratif ou judiciaire et portant sur un acte pris en application d’une loi du pays.

1.2. Le moyen invoqué doit être sérieux, le texte de Nouvelle-Calédonie parle de contestation sérieuse.

1.3. Le juge de l’exception est, dans tous les cas, le Conseil d’Etat, même lorsque l’exception a été soulevée devant une juridiction pénale. Se fondant sur le huitième alinéa de l’article 74 de la Constitution relatif au contrôle juridictionnel spécifique des « lois du pays » et constatant qu’il n’existe aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle qui impose que le juge du principal soit, dans tous les cas, le juge de l’exception, le Conseil Constitutionnel a validé cette dérogation au droit pénal.

1.4. La décision de la juridiction saisie au fond de transmettre la question préjudicielle au Conseil d’Etat n’est susceptible d’aucun recours.

1.5. Le Conseil d’Etat statue dans les trois mois.

2/ Règles particulières

2.1. Le moyen qui peut être invoqué à l’appui d’une demande d’exception d’illégalité est fondamentalement différent.

- En Nouvelle-Calédonie, il ne peut porter que sur la nature juridique de la disposition. Est-elle de nature législative ou réglementaire ? Le Conseil d’Etat ne va donc pas annuler la disposition litigieuse mais simplement la déclasser du rang législatif au rang réglementaire.

- En Polynésie française, le moyen soulevé invoque la non conformité de la disposition en cause avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux ou les principes généraux du droit. En d’autres termes, le Conseil d’Etat utilisera la même grille de lecture que celle qu’il aurait utilisé s’il avait été saisi a priori dans le cadre du contrôle juridictionnel spécifique.

Il pourrait même être saisi une nouvelle fois si, depuis sa première décision ayant précédé la promulgation, l’illégalité invoquée résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date.

2.2. En Polynésie française, pour que le moyen soit retenu, il est nécessaire que la question soulevée commande l’issue du litige ou la validité de la procédure ou constitue le fondement des poursuites. Cette énumération limitative confirme le caractère sérieux du moyen et permet d’éviter les recours dilatoires.

2.3. La décision de refuser de transmettre la question préjudicielle au Conseil d’Etat n’est, elle aussi, pas susceptible de recours indépendamment de la décision touchant tout ou partie du litige.

Il appartient donc au seul juge du fond de statuer sur le sérieux du moyen invoqué par le requérant.

2.4. Dans les deux cas, la juridiction saisie doit surseoir à statuer jusqu’à la décision du Conseil d’Etat.

Mais, en Polynésie française, la loi statutaire a prévu deux dispositions qui atténuent le caractère rigoureux de ce sursis.

En premier lieu, la juridiction peut en décider autrement dans les cas où la loi lui impartit, en raison de l’urgence, un délai pour statuer.

Par ailleurs, elle peut, dans tous les cas, prendre les mesures d’urgence ou conservatoires nécessaires.

b) Effets

Dans la très grande majorité des cas, dans l’hypothèse ou le moyen invoqué serait retenu par le Conseil d’Etat (1) la décision de la juridiction administrative suprême ne pourrait être que constater l’illégalité de la disposition contestée puisqu’elle serait contraire au bloc des normes mentionnées au deuxième alinéa de l’article 177 de la loi statutaire.

Il semble toutefois exister un cas où la décision du Conseil d’Etat déboucherait non pas sur une annulation, mais sur un déclassement (2).

1/ Cas général

Si une disposition est déclarée contraire au bloc des normes mentionnées au deuxième alinéa de l’article 177 du statut, elle ne peut bien évidemment être invoquée pour justifier l’acte pris pour son application. Elle est donc opposable aux parties au litige.

Mais elle a aussi un effet erga omnes en ce sens qu’elle ne peut plus être invoquée pour des actes ultérieurs pris sur le même fondement.

Enfin, en application de la jurisprudence ALITALIA, toute personne qui y aurait intérêt peut mettre en demeure l’administration de procéder à l’abrogation de cette « loi du pays » et déférer le refus éventuel d’abrogation à la juridiction administrative.

Afin de permettre à ces personnes d’agir en toute connaissance de cause, l’article 2 du décret n° 2005-1611 du 20 décembre 2005, pris pour l’application de la loi statutaire, confie au haut commissaire le soin de faire publier au Journal officiel de la Polynésie française le dispositif ainsi que les motifs qui en sont le soutien indispensable des décisions du Conseil d’Etat lorsque ces décisions déclarent illégales, par voie d’exception, des dispositions qui y ont été publiées et sont devenues définitives.

2/ Cas particulier

Nous avons vu que l’un des moyens invoqués pouvait être la contrariété entre une disposition d’une « loi du pays » et les lois organiques, y compris nécessairement la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française.

Il est donc permis d’envisager un moyen et un seul fondé sur les dispositions de l’article 140 de la loi statutaire qui définit limitativement le domaine d’intervention de la « loi du pays » lorsqu’une personne estime qu’une disposition d’une « loi du pays » a méconnu ce caractère limitatif.

Ce cas n’est pas seulement une hypothèse d’école car, indépendamment de la possibilité de déférer cette disposition devant la juridiction administrative de proximité, l’inclusion dans une « loi du pays » permet de donner un caractère rétroactif aux contrats en cours.

Le Conseil d’Etat, s’il admettait ce moyen, ne pourrait donc déclarer illégale la disposition en cause mais devrait se contenter de la déclasser au rang des autres règlements.

Le commissaire du gouvernement, dans ses conclusions précitées, va même plus loin lorsque, s’inspirant de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, il estime que « l’empiètement des lois du pays sur la compétence des autorités du territoire investies du pouvoir réglementaire n’est jamais susceptible de faire l’objet d’une déclaration d’illégalité ».

Le Conseil d’Etat, dans son avant-premier considérant, a suivi ces conclusions en précisant qu’il n’y a pas lieu « sur demande ou d’office, de censurer les empiètements de la « loi du pays » sur le domaine réglementaire réservé par la loi organique au conseil des ministres de la Polynésie française ».

Cette décision renvoie donc pour les personnes intéressées à la seule procédure de déclassement prévue par l’article 180 de la loi statutaire (cf I, B, b-3, ci-dessus).



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Arrivé au terme de cette étude, on pourrait penser que les choses sont claires et que les procédures de déclassement et d’exception d’illégalité sont rigoureusement définies et balisées.

Mais on pourrait aussi se demander à l’expression « sécurité juridique » attachée à la « loi du pays » n’est pas usurpée.

En effet, contrairement à la loi du pays de la Nouvelle-Calédonie qui, aux termes de l’article 107 du statut, a force de loi, les « lois du pays » de la Polynésie française restent des actes administratifs, soumis au respect des principes généraux du droit et à l’encontre desquels l’exception d’illégalité peut être soulevée à tout moment.

Sur ce plan, rien ne paraît donc distinguer la sécurité juridique de la « loi du pays » de celle des délibérations et autres règlements pris par les institutions de la Polynésie française.

Des différences subsistent toutefois entre ces deux normes.

En premier lieu, le Conseil d’Etat, dans la décision précitée, reconnaît, dans son 7ème considérant que les dispositions litigieuses ne sont pas manifestement disproportionnées à l’objet recherché, suivant en cela les recommandations de son commissaire du gouvernement sur la portée du contrôle exercé, en ce sens que « les exigences du principe d’égalité ne doivent pas être entendues de façon trop rigide ».

En deuxième lieu, la contestation d’une « loi du pays » doit intervenir a priori et dans un délai relativement court :15 jours pour les autorités titulaires du droit de saisine et un mois, à compter de la publication pour information, pour les personnes ayant intérêt à agir.

Les dispositions promulguées, éventuellement après décision du Conseil d’Etat, ne peuvent plus être annulées. Pour les autres règlements, la contestation peut être engagée dans le délai de deux mois suivant leur notification et ce délai peut être suspendu si le haut commissaire demande à compléter le dossier transmis ou interrompu lorsqu’il a exercé un recours administratif. Si l’on ajoute à ce délai, les délais de distance on aboutit à prolonger l’insécurité juridique de plusieurs mois, voire plusieurs années alors que le règlement qui a commencé à produire ses effets dès qu’il est revêtu du caractère exécutoire peut être annulé avec effet rétroactif, annulation qui peut avoir des conséquences très graves, notamment en matière fiscale.

En troisième lieu, une disposition jugée contraire au bloc de normes de l’article 177 ne peut être promulguée, ce qui contribue à la sécurité du texte.

Enfin, si la procédure de l’exception d’illégalité peut être engagée dans tous les cas, la procédure particulière applicable aux « lois du pays » apporte une sécurité juridique plus grande ne serait-ce que parce que le Conseil d’Etat est toujours le juge de l’exception.





Jean PERES
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